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mercredi 10 mars 2021

On meurt "mal" en France ?

 Je viens de lire l'édito du journal "La Croix", quotidien catholique, à paraître demain, signé Guillaume Goubert. Et je ne peux que me poser un certain nombre de questions.

Demain, jeudi 11 mars 2021, le Sénat doit débattre d'une proposition de loi "visant à établir le droit à mourir dans la dignité". Cet intitulé, tout le monde le sait, maintenant, n'est rien d'autre qu'un joli enrobage pour parler d'euthanasie. Telle un serpent de mer, l'euthanasie refait ainsi régulièrement surface dans l'actualité, comme au moment de l'agonie de Vincent Lambert, il y a un peu moins de deux ans, en juillet 2019. La situation de cet homme, victime d'un accident de la route et en état végétatif pendant onze ans, a relancé le débat sur ce fameux "droit à mourir dans la dignité" en France, pays où, pour l'instant encore, toute euthanasie est interdite par la loi, de même que tout suicide assisté, comme cela existe, par exemple, en Suisse.

Je m'interroge, comme beaucoup, j'imagine, sur l'opportunité de rouvrir ce débat sur l'euthanasie à ce moment précis de l'histoire de notre pays. En pleine épidémie de Covid-19, cette maladie qu'on ne présente plus, bien sûr, puisque nous vivons avec depuis un peu plus d'un an maintenant (oui, plus d'un an, parce que les premiers cas n'ont pas débarqué en France en janvier 2020, mais bien en novembre 2019 déjà... sauf qu'à ce moment-là, cela concernait très peu de malades, que la maladie n'était pas encore identifiée, qu'elle n'avait pas encore tué, et qu'on la confondait encore largement avec la grippe ou une pneumonie, selon les cas. Bref.)

Donc, plus d'un an avec une épidémie mortelle pour un certain nombre de personnes, et plus précisément, pour 94% d'entre elles, âgées de plus de 65 ans. On est donc face à une maladie qui tue essentiellement des personnes âgées, en fin de vie, avec une ou plusieurs autres maladies associées (diabète, problème cardiaque, obésité, cancer, et j'en passe). Dans une interview du désormais très célèbre Didier Raoult, épidémiologiste à l'IHU de Marseille, le médecin disait qu'il n'y avait pas vraiment de surmortalité. Les malades décédés de la Covid-19 en 2020 seraient de toute façon morts d'autre choses quelques mois ou quelques années plus tard, sans l'épidémie. La Covid-19 a donc accéléré le processus, mais n'a pas multiplié les morts. Pour le dire un peu trivialement et assez brutalement, l'épidémie a, en quelque sorte, "fait le ménage" parmi les personnes, essentiellement âgées et/ou malades, qui étaient de toutes façons déjà condamnées à plus ou moins brève échéance.

N'allez pas me faire dire ce que je n'ai pas dit. Cette maladie (et je l'ai eue aussi, en version longue) est une véritable cochonnerie, si vous me passez l'expression, en ce sens qu'elle attaque tout l'organisme, à des moments et des degrés divers. En version "light", non létale, les symptômes peuvent s'enchaîner plus ou moins rapidement, sur plusieurs jours, voire sur plusieurs mois, et la maladie est très anxiogène, y compris dans ses formes bénignes, tout simplement parce que, quand un symptôme disparaît, on finit par se demander immédiatement après, dès que ça va mieux, quel sera le prochain symptôme et s'il sera pire ou pas que le précédent. On vit, surtout dans les formes longues, en apnée permanente, dans l'attente de la suite. Et c'est lourd (et c'est du vécu : mes premiers symptômes ont eu lieu début février 2020, les derniers ont disparu fin mai...).

Bref. Nous sommes en pleine épidémie. Et je ne peux pas m'empêcher de me demander si nos dirigeants, nos députés, ne seraient pas un peu, voire totalement schizophrènes. Ils envoient tellement de messages contradictoires que ça en devient totalement délirant. D'un côté, il y a le "quoi qu'il en coûte" d'Emmanuel Macron, avec des moyens dingues déployés durant le premier confinement pour obliger tout le monde à rester chez soi pour tenter d'endiguer l'épidémie, il y a le décompte journalier des morts, les tableaux quotidiens avec le récapitulatif du nombre de morts en EHPAD vs le nombre de morts à l'hôpital, mais qui ne tiennent bien sûr pas compte de ceux qui sont morts chez eux, parce qu'ils n'ont pas pu voir le médecin, et dont, finalement, on ne saura sans doute jamais qui, du cancer ou de la Covid, a gagné le match final... On a aussi une bataille rangée avec une sorte de course contre la montre pour vacciner (avec plus ou moins de réussite, de réactivité et de rapidité en fonction du nombre de doses disponibles dans notre pays) le plus de monde possible. On a l'impression, là, que le combat se mène sur chaque vie humaine. Chaque vie humaine est importante ! Oui. C'est ce qu'on nous dit à longueur de journée, sur tous les plateaux télé consacrés à cette pandémie depuis un an. Chaque vie humaine compte. Chaque décès est donc vécu comme un drame, comme un échec, d'autant plus que, au plus fort de l'épidémie, les personnes hospitalisées avec la Covid-19 étaient isolées et, quand elles mouraient, elles mouraient seules, sans avoir revu les leurs. Sans leur avoir dit "au revoir". Sans avoir pu leur dire "je t'aime" une dernière fois. Dramatique.

D'un autre côté, nous avons des députés, des lobbyistes, des militants d'associations qui militent, aujourd'hui comme depuis de nombreuses années maintenant, pour faire passer dans la loi un nouveau "droit" qui, je n'en doute pas, ne tardera pas à devenir "fondamental", celui de "mourir dans la dignité".

J'avoue que, là, même si je m'attendais à ce genre d'offensive, je suis écœurée par l'indécence de ces revendications, à ce moment précis de notre histoire. Où est donc l'urgence ? Où est donc la logique ? Parce qu'il ne faut pas se leurrer, ce sont les mêmes personnes qui, d'un côté, hurlent parce que la Covid tue et, de l'autre, militent pour l'adoption dans la loi française du droit à l'euthanasie. Alors, j'aimerais bien connaître les raisons de tout cela. Pourquoi vouloir l'euthanasie, si la mort est si atroce ? Pourquoi hurler à cause de la Covid si on veut à tout prix l'euthanasie ?

Je réfléchis. Il y a une différence fondamentale entre la mort par Covid et la mort par euthanasie, c'est la dimension du "choix". En fait, le terme "dimension" est très mal choisi. Ce n'est pas une "dimension", mais une "illusion". Illusion du choix. Dans le cas de la Covid, ça me tombe dessus, comme dans une loterie, comme à la roulette russe. C'est une histoire de fatalité. Untel est touché et va s'en sortir, untel est touché et en meurt. On ne maîtrise rien, on ne contrôle rien.

Dans le cas de l'euthanasie, il semble, d'un premier abord, qu'il y ait un choix posé. "Je choisis de mourir dans la dignité", c'est-à-dire que je choisis de ne pas être réanimé, je choisis, si je deviens un jour comme Vincent Lambert (un "légume", quoi), de demander à ce qu'on mette fin aux traitements qui me maintiennent en vie, en attendant d'avoir le droit de demander qu'on mette fin à mes jours (ou que j'y mette fin moi-même si je peux encore le faire), quand la loi l'autorisera.

Alors pourquoi ai-je l'impression qu'il ne s'agit pas d'un choix, mais d'une illusion de choix ? Qu'est-ce que cette histoire d'euthanasie révèle, finalement ?

Tout d'abord, je vois une notion très importante de contrôle. Dans le militantisme pro-euthanasie, même si ça ne concerne peut-être pas tout le monde, il y a cette dimension de contrôle qui me semble très présente. On veut garder le contrôle sur sa mort, comme on pense avoir eu le contrôle sur sa vie. Ou peut-être qu'on veut avoir le contrôle sur sa propre mort, justement parce que c'est quelque chose que l'on pense pouvoir contrôler, contrairement à tous les événements de la vie, dont une bonne part est totalement incontrôlable, justement, parce que nous sommes des êtres de relation et que notre vie est faite de relations, donc d'altérité. Cela me fait penser à une autre maladie, l'anorexie, où, pour faire simple et à grands traits, une partie du problème se situe dans le besoin de contrôler son propre corps en le privant de nourriture (c'est le même débat, mais à l'envers, pour la boulimie d'ailleurs, au moins en partie). Donc, le contrôle. 

Si je vais plus loin, je me dis que personne n'a décidé de venir au monde. Ce sont nos parents, à chacun d'entre nous, qui ont décidé de notre vie ou de notre mort, au moment de notre conception et de notre naissance. Finalement, nous sommes déjà tous des morts en sursis, à partir du moment où nous naissons. Et, aujourd'hui, ceux qui naissent ont déjà de la chance, quelque part ! Mais c'est un autre débat, ça ! Donc, personne n'a décidé de venir au monde. Alors comme on est là sans l'avoir choisi, on veut choisir sa vie. On choisit son métier, sa formation, son conjoint, sa maison, le nombre d'enfants qu'on aura (ou pas)... et puis les choses peuvent déraper, pour des raisons qui nous échappent : chômage parce que l'entreprise "dégraisse" (ou à cause d'une pandémie), divorce parce que mon conjoint ne m'aime plus, ou en a marre de mes défauts, ou a rencontré quelqu'un d'autre (l'un n'excluant pas l'autre, d'ailleurs), solitude parce que les enfants ne viennent plus nous voir, parce qu'on est fâché avec eux, parce qu'ils habitent à l'autre bout du monde à cause de leurs métiers qui nous ont coûté une fortune en études supérieures, perte de la maison parce qu'il y a eu un tsunami, un tremblement de terre ou un attentat ou parce que le chômage m'interdit dorénavant de payer mon prêt bancaire, son genre qui ne correspond pas à son sexe biologique ou à ce qu'on ressent être au fond de soi... Finalement, la seule chose qu'on maîtrise un tant soit peu, dans ce monde, c'est... sa vie à soi. Parce que le reste (solitude, divorce, chômage, maison...) est susceptible de disparaître pour des raisons qui me sont extérieures. Ou qui semblent m'être extérieures du moins. Donc, puisqu'on ne maîtrise plus rien, on veut au moins maîtriser sa vie. Et surtout la fin de sa vie.

Il y a autre chose, aussi. La mort. C'est "flippant", la mort. C'est sale, c'est répugnant, c'est la fin de tout, c'est... ça fait peur, la mort ! Il faut la cacher. Il ne faut surtout plus la voir. Il faut l'éviter. Jusque dans le vocabulaire qu'on emploie pour en parler, parce qu'elle ne disparaîtra jamais, vu que c'est l'issue ultime pour chacun d'entre nous ! Donc, la mort, on l'appelle "le décès", le "départ". "Il est parti". "Elle s'en est allée". "Il est au ciel". "Elle mange des pissenlits par la racine". "Elle nous a quittés". La mort, dans notre monde aseptisé, a quelque chose d'indécent. Tout comme la vieillesse et la maladie, d'ailleurs. Et c'est "marrant" (si je peux me permettre !) : la Covid-19 a justement mis, ou plutôt remis ces trois réalités sur le devant de la scène : la mort, la maladie, la vieillesse. Et c'est peut-être pour cela que la Covid fait si peur. C'est sans doute pour cela que cette épidémie réveille tant de fantasmes, tant de terreurs, tant d'angoisses. A force de cacher nos faiblesses que sont la vieillesse, la maladie et notre finitude, n'a-t-on pas fini par croire que nous en étions débarrassés ? Et vlan ! Tel un boomerang, tout cela nous revient en pleine figure ! Drôle, non ?

Nous sommes simplement rattrapés par notre réalité. C'est tout. 

Alors cet éditorial disait qu'on "meurt mal en France". C'est-à-dire, selon les promoteurs de l'euthanasie (parce qu'on va arrêter la novlangue, ici, et appeler un chat "un chat"), que la mort ne prévient pas. Elle s'invite dans nos vies quand on ne l'attend pas, elle débarque et emporte ceux que nous aimons, plus ou moins brutalement, plus ou moins rapidement. Tel Luc, mort à 46 ans d'une crise cardiaque. Tel François, mort à 71 ans d'un cancer, en pleine épidémie de Covid. Tel... Les exemples sont légion, surtout en ce moment. Alors on rêve. On rêve d'une mort douce, d'une mort sans douleur, d'une mort qu'on pourrait prévoir, qu'on pourrait enfin "programmer", une mort qui ne viendrait plus nous prendre par surprise, qui nous laisserait le temps de dire "au revoir" à ceux que nous aimons et que nous laisserons derrière nous. Une mort où il n'y aurait plus d'angoisse, parce qu'on l'aurait choisie, qu'on aurait décidé de quelle manière on terminerait notre vie. Une mort qui arriverait dans notre sommeil, sans rêves, sans angoisses, sans envie, car sans possibilité non plus, de faire marche arrière et de l'arrêter. Une mort enviable, presque. Dépouillée de sa brutalité.

C'est ça, une "bonne" mort ?

Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que la demande d'euthanasie disparaît quand la douleur et l'angoisse de la mort sont prises en charge dans les unités de soins palliatifs. Ce que je sais, c'est que quelqu'un qui est accompagné dans sa maladie, qui en connaît l'issue fatale à plus ou moins long terme, est capable de se préparer à son grand "passage". Il est capable, aussi, de regarder cette ultime étape de sa vie avec sérénité, en s'y préparant, en y préparant aussi ceux et celles qu'il aime, telle Christine, morte de la maladie de Charcot à 42 ans.

Une fois de plus, on en revient toujours au même point. Ce qui motive la demande d'euthanasie, en France comme ailleurs, c'est le désespoir. Et la peur. Pour les chrétiens, la mort, le désespoir, la peur ne viennent pas de Dieu, mais de Satan et des démons. En fait, en "virant" Dieu de nos vies, de nos sociétés, en l'oubliant carrément, nous nous enfonçons dans ce désespoir, cette peur de la mort, cette désespérance face à la certitude qu'après, il n'y a plus rien. C'est pour cette raison, je pense, que les mêmes qui sont pour l'euthanasie sont aussi, sans doute, pour le transhumanisme, pour l'homme augmenté, pour l'installation de l'homme sur Mars. Tout, plutôt que d'affronter notre finitude d'êtres humains. Tout, plutôt que de mourir "pour toujours". C'est marrant, ça aussi, d'ailleurs. Quand les jeunes enfants découvrent la mort, ils posent tous, à un moment, la même question : "Dis, maman, quand on meurt, c'est pour toute la vie ?" Eh oui ! Quand on meurt, c'est définitif. Sauf rares exceptions, on ne revient pas de ce voyage-là. Mais la différence entre les chrétiens et les non-chrétiens, c'est que, justement, pour les chrétiens, il y a autre chose "après". Il y a cette espérance, qui est bien plus puissante que le simple espoir, qu'après la mort, il y a la vie éternelle, et la vie auprès de Dieu. Dans la louange et la joie éternelle, dans la paix et le bonheur "pour toute la vie".

Quand on est pétri de cette certitude, la mort ne fait plus peur. Sans devenir enviable (mourir n'est jamais, je suppose, une partie de plaisir), la mort devient un mauvais moment à passer avant d'accéder à la plénitude de la vie. Tout le reste devient alors logique : le respect de la vie depuis son commencement jusqu'à sa fin naturelle (donc pas d'avortement, pas d'euthanasie, pas de suicide assisté ou de "mort dans la dignité" ou tout autre nom qu'on voudra lui donner). Le respect de l'autre, de sa liberté. La joie face à ce qui nous attend, même quand ce sont des épreuves. La joie de la croix.

On ne peut pas dire "chaque vie humaine compte" d'un côté et favoriser l'avortement et promouvoir l'euthanasie de l'autre. On ne peut pas tout faire pour sauver des vies humaines et donner la mort à ses semblables, fragiles parce que non nés ou trop âgés pour se défendre. Il faut être un minimum cohérent. Une vie est une vie. Il n'y a pas de vie plus "digne" qu'une autre. La vie d'une personne handicapée, la vie d'une personne âgée ont autant de valeur que la vie d'un jeune cadre dynamique ou d'une mère de trois enfants qui mène sa carrière, sa famille et son couple de front.

Sinon, un jour, on va nous dire que, puisqu'on peut "mourir bien", "mourir dans la dignité", alors il n'est pas cohérent de ne pas choisir d'utiliser ce droit pour mettre fin à sa vie insupportable en EHPAD ou parce qu'on est trisomique ou autiste. "Mourir dans la dignité" deviendra une injonction, et non plus un droit, pour ne pas faire peser sur la société, sur les pouvoirs publics, sur les comptes de la Sécurité Sociale, le poids du handicap, de la vieillesse et de la maladie. Et ceux qui s'y opposeront, qui respecteront la vie depuis son début jusqu'à sa fin naturelle seront des hors-la-loi qui rendent la vie "laide", parce que le handicap, la vieillesse et la maladie y seront toujours visibles.

Mais qu'est-ce qui permet de dire que la vie d'un enfant ou d'un adulte handicapé a moins de prix qu'une autre et qu'elle ne mérite pas d'être vécue ? De quel droit peut-on décider de qui doit vivre, et qui doit mourir ? Ouvrir cette boîte de Pandore est un gros, un très gros risque que certains, malheureusement, sont prêts à courir. 

L'euthanasie n'est pas "belle". Elle ne rend pas la mort "belle". Elle n'enlève rien à la douleur des proches de celui qui meurt. La mort est la mort, quel que soit le nom qu'on lui donne pour la masquer. N'est-il pas temps de la regarder en face et de mieux accompagner ceux qui vont avoir à y faire face ?